Rejet d’expertise - Enjeux et jurisprudence

Dans le contexte judiciaire, de nombreux litiges impliquent des enjeux techniques essentiels pour déterminer l'issue d'une affaire. Dans de telles situations, le recours à un expert revêt une importance capitale afin de satisfaire au fardeau de preuve requis. Toutefois, il arrive que la partie adverse conteste la crédibilité de l'expertise présentée, invoquant divers motifs, notamment la partialité et l'irrégularité au sens de l'article 241 du Code de procédure civile.

La jurisprudence établie démontre la difficulté à obtenir le rejet d'une expertise en raison de l'existence d'un niveau de preuve élevé. Il est donc impératif d'évaluer minutieusement les chances de succès d'une telle procédure avant d’en faire la demande. En effet, le préjudice potentiel que le rapport d'expert pourrait infliger à la cause doit dépasser sa valeur probante pour justifier un rejet intégral.

Il convient de souligner que le juge doit faire preuve de prudence lorsqu'il envisage de rejeter prématurément un rapport d'expertise, car ce dernier peut revêtir une importance cruciale dans le cadre du litige. Ainsi, voici un résumé des critères dégagés par la jurisprudence afin d’évaluer le bien fondé d’une demande de rejet d'une expertise :

« […] Le Tribunal rappelle que le seul fait que l’opinion de l’expert soit favorable à la position de la partie qui l’a mandatée ne prouve pas sa partialité. »[1]

« La Cour d’appel dans Roy c. Québec (Procureur générale), 2016 QCCA 2063 enseigne qu’il faut faire preuve de prudence lorsque la partialité de l’expert est soulevée de manière préliminaire:

[…], le juge doit être prudent, car la « partialité » peut simplement limiter la force probante de l’opinion de l’expert sans atteindre un niveau tel que son rapport devienne irrecevable. »[2]

« Il n'est pas nécessaire que l'expert soit parfait ni qu'il connaisse de façon complète et absolue tous les aspects de son domaine ou de sa spécialité. Il faut toutefois qu'il soit en mesure d'éclairer le Tribunal et que son éclairage soit fondé correctement sur sa formation, ses connaissances et son expérience. »[3]

« Dans White Burgess, le juge Cromwell expliquait ainsi le lien qui rattache ce deuxième volet de la démarche au premier :

Il peut être utile de concevoir la pertinence, la nécessité, la fiabilité et l’absence de parti pris comme autant d’éléments d’un examen en deux temps, qui entrent en ligne de compte à la première étape, celle qui sert à déterminer s’il est satisfait aux critères d’admissibilité, et jouent également un rôle à la deuxième, dans la pondération des considérations concurrentes globales relatives à l’admissibilité. Au bout du compte, le juge doit être convaincu que les risques liés au témoignage de l’expert ne l’emportent pas sur l’utilité possible de celui-ci. »[4]

« S’agissant ainsi d’une analyse prima facie, le juge ne fera droit à la demande d’irrecevabilité que dans les cas où, à sa face même, le rapport a une valeur probante ou une utilité si faible qu’il est évident que celle-ci est surpassée par son effet préjudiciable. »[5]

« […] il ressort de l’arrêt de la Cour suprême dans White Burgess que les juges ne devraient rejeter un rapport d’expertise pour cause de partialité que dans les cas les plus manifestes […] »[6]

« […] En d’autres termes, le rapport d’expertise est ''recevable'' puisqu’il ne comporte pas une ''irrégularité'' attribuable à la ''nécessité d’aider le juge des faits''. »[7]

« […] la Cour suprême reconnaît que dans certains cas, le juge des faits a besoin d’une aide technique ou spécialisée pour évaluer la preuve comme il se doit. Il faut que l’utilité de cette preuve repose sur des connaissances particulières qui dépassent le bagage et l’expérience du juge des faits. »[8]

« […] Ainsi, plus la preuve envisagée s’annonce centrale à la détermination d’une question en litige, plus grand s’avèrera son avantage pour le procès et, par voie de conséquence, le préjudice potentiel qu’elle créera devra clairement outrepasser cet avantage. »[9]

« Plus encore, l’expert peut se prononcer sur une question de droit que le juge aura à trancher. Son opinion ne peut remplacer celle du juge sur une question de droit, mais le fait que l’expert puisse formuler une opinion sur un aspect légal n’aura pas automatiquement pour effet de le disqualifier ou de rejeter l’ensemble de son expertise. »[10]

« Le juge du fond n’est pas lié par l’opinion de l’expert ni par ses conclusions tirées à partir des faits qu’on lui a rapportés. […] »[11]

« Si l’on devait rejeter toutes les expertises qui tendent à soutenir les prétentions des parties qui les ont mandatées, il n’y aurait possiblement plus aucune expertise dans aucun dossier. »[12]


[1] Centrale des syndicats du Québec (CSQ) c. Procureur général du Québec, 2022 QCCS 428, par. 20

[2] Couche-Tard c. Front Line Displays Inc., 2019 QCCS 916, par. 46

[3] Ouellet c. Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique, 2022 QCCS 137, par. 39

[4] Simard c. DS Avocats Canada, 2023 QCCS 1256, par. 29

[5] Simard c. DS Avocats Canada, 2023 QCCS 1256, par. 31

[6] Simard c. DS Avocats Canada, 2023 QCCS 1256, par. 35

[7] Simard c. DS Avocats Canada, 2023 QCCS 1256, par. 62

[8] Hak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 1466, par. 82

[9] Hak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 1466, par. 93

[10] Hak c. Procureur général du Québec, 2021 QCCS 1466, par. 121

[11] Télécon inc. c. Paupe, 2022 QCCA 425, par. 34

[12] Marois c. Motoniege Beauce Sud, 2018 QCCS 5012, par. 21

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